Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Les bons films, ou les DVD techniquement impressionnants.

Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par syber » 08 Juin 2018, 06:55

Onibaba (1964) de Kaneto Shindo

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Évidemment, après avoir pris un tel plaisir à regarder Kuroneko, on se renseigne sur la filmographie de Kaneto Shindo et on cherche à regarder ses autres films. Onibaba est souvent considéré comme son meilleur film. A mon sens il est effectivement non seulement encore plus réussit que Kuroneko d'un point de vue formel et scénaristique, mais également plus accessible aux européens dans les paraboles religieuses qu'il utilise.

L'histoire qu'elle est-elle ? Deux femmes, l'une âgée, l'autre sa belle fille. Elles vivent seules dans un marais ou poussent à foison des roseaux. Leur hutte (on doit être au 16° siècle) est cachée parmi ceux-ci. Seules car le fils et les hommes jeunes alentours sont partis guerroyer avec les samouraïs de l'empereur.

Elles vivent en piègant des samouraïs qui viennent se perdre dans le marais inextricable, les tuent, les dépouillent de leurs habits qu'elles échangent contre de la nourriture auprès d'une sorte de receleur local, puis se débarassent des corps en les jetant dans un puit naturel dont l'orifice est dissimulé dans les roseaux.

Jusqu'ici rien que de très normal dans une économie libérale qui n'est pas sujette aux contraintes étatiques où il est sain que chacun prenne l'initiative de monter sa petite entreprise.

Bref, je vous passe les détails de l'histoire, si ce n'est en précisant qu'un homme va revenir de la guerre et va prendre sa place entre les deux femmes, pour en venir aux impressions que je retire de la vision de ce film. Comment dire ? Il s'agit d'un film spectaculaire, extrêmement sensuel (nos sens sont mis à contribution), presque magique (sens abusés par moment), âpre, brutal parfois, mais tout à fait économe dans les moyens utilisés pour exprimer ces qualités. Je veux signifier par là que le metteur en scène de ce film mérite son titre et pas qu'un peu ! C'est un artiste talentueux qui est aux manettes.

Deux exemples. Ces femmes vivent seules dans un espace ouvert et pratiquement infini. Et paradoxalement ce marais et ces roseaux qui les protègent, forment une prison sensorielle et intellectuelle en les empêchant de porter leur regard au loin. Cette prison fini par les faire devenir un peu folles en les oppressant. Kaneto Shindo par le soin apporté à ses cadrages, par quelques métaphores bien choisies et répétées régulièrement nous fait comprendre la psychologie particulière que cet environnement imprime sur ces femmes. Car l'histoire et la géographie forgent le caractère des hommes.

Autre exemple. Un masque traditionnel japonais joue un rôle essentiel dans la seconde partie du film. Ce masque est porté par différents protagonistes qui l'utilisent à des fins diverses (affirmation de l'autorité, protection contre les regards, manipulation d'autrui, ...). Un masque par définition a une seule expression. Et bien dans ce film, grâce au jeu des lumières, grâce à la gestuelle des comédiens, on se surprend à voir l'expression du masque changer selon les intentions données par la scène en train d'être jouée ! La première fois, on se dit que l'on a rêvé. Au bout de la 3° fois on réalise en fait que le masque est ainsi conçu pour présenter diverses expressions selon l'angle où on le regarde, face, profil, contre-plongée. Pour prendre un exemple, des sourcils proéminents sculptés dans le masque ne se verront pas de la même manière ni ne seront interprétés de la même façon selon que l'on verra le masque de face ou de profil. L'utilisation de ce masque est faite de manière remarquablement subtile dans ce film.

J'ai encore un peu de temps ...

Je reviens deux secondes sur le scénario qui est d'une grande limpidité même si il aborde de nombreux thèmes. Plus nombreux finalement que dans Kuroneko et plus universels, d'une portée plus haute. La religion, la manipulation, la diversité des rapports humains et de leurs modalités d'échange, sexe, argent, protection, et Dieu dans tout ça. C'est en fait un modèle réduit de société que forment ces 4 personnages, vieille femme, jeune femme, homme jeune, commerçant et ce masque qui personnifie tantôt l'autorité de l'Empereur, tantôt un démon, qui est observé et mis en scène par le réalisateur.

Quelques photos ?

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Un climat inquiétant et oppressant !

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Il se passe de drôles de choses sous ces roseaux !

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Et lorsque la nuit est tombée, l'esprit se libère et les corps exultent ...

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Mais les démons veillent ! :shock: :D
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Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par tof » 08 Juin 2018, 22:53

Ce que j'aime tes sujets cine syber tu as le chic pour trouver des films que personne ne connait. J'aimais beaucoup ces sujets sur l'ancien forum
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Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par syber » 09 Juin 2018, 09:39

Merci Tof. Content que cela plaise aux lecteurs.
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Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par syber » 09 Juin 2018, 09:42

Tange Sazen et le pot d’un million de Ryos (1935), de Sadao Yamanaka.

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Scénario très astucieux. L'histoire se passe sous la période Edo et le seigneur d'un territoire a mis de l'argent de côté - 1 million de ryos - en prévision des mauvais jours qui pourraient survenir. Las, il meurt et ses deux fils ne savent rien de cette histoire. Seul un ancien serviteur raconte un jour à l'ainé des deux fils, devenu le seigneur à la place de son père pendant que son jeune frère est exhilé à la ville comme vague tenancier d'un dojo, comment le père à enterré cette somme d'argent fabuleuse en un endroit secret. Mais le père à pris la précaution de dessiner un plan caché de l'emplacement secret, sur un méchant vieux pot de terre cuite. Pot de terre cuite que le frère ainé vient justement d'offrir à son jeune frère. Jeune frère, de tempérament velléitaire et dominé par sa femme, qui se sent humilié par un cadeau de si faible valeur et s'en débarrasse auprès des chiffoniers d'Edo. Chiffoniers qui n'ont que faire de ce pot si commun et en font cadeau à un jeune enfant, orphelin de mère, pour qu'il y mette ses poissons rouges.

Enfant dont le père sans le sou aime à jouer dans un tripot tenu par une geïsha, maîtresse femme qui n'aime pas les enfants et qui entretient un ronin - Tange Sazen - borgne et manchot qui lui sert tout autant d'amant que de garde du corp.

Père de l'enfant qui finira tué à cause de ses dettes de jeu. Enfant, devenu orphelin pour de bon, qui sera adopté et aimé par le ronin et sa maitresse qui passeront leur temps à s'enguirlander au sujet de son éducation.

Pendant ce temps, le frère ainé remuera ciel et terre pour retrouve le pot à la carte du trésor et finira par racheter, très cher, la totalité des pots disponibles dans la capitale Edo. Et pendant ce temps, le jeune frère, mis au courant de la particularité du pot et poussé à l'action par sa femme et contre son gré, fera preuve d'une inconséquence remarquable pour retrouver ce pot ... puisqu'il finira par mettre au courant la moitié de la ville de son histoire et de sa réelle valeur.

On l'a compris, la chasse au trésor n'en est finalement pas une, du moins n'est-elle pas celle que l'on croit au début du film. C'est en réalité avec beaucoup de tendresse et d'ironie que le cinéaste filme les travers humains des petites gens d'Edo, leurs grandioses bassesses et leurs grandeurs pudiques.

Quand à la carte au trésor ... personne ne prend la peine de la chercher une fois le pot retrouvé par le frère cadet et le ronin. Il y a tellement plus important à faire comme boire du thè, du saké, tirer à l'arc entre amis et écouter les geïshas chanter.
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Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par syber » 09 Juin 2018, 09:44

Sur la piste des Mohawks (1939), de John Ford

Changement de continent et retour aux US avec le premier film en couleur de John Ford, avec Henry Fonda et Claudette Colbert (New York-Miami avec Clark Gable, pour fixer les idées).

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C'est un peu un film mal aimé, mal connu, dans l'immense filmographie de john Ford. Il faut dire qu'il se trouve coincé, excusez du peu, entre La chevauchée Fantastique et Les raisins de la colère qui l'ont un peu occulté. De manière injuste car le film est très bon, pas excellent et du niveau de ceux précités, mais très bon tout de même. On y retrouve toutes les qualités et les caractéristiques du style de Ford. L'exaltation de l'esprit pionnier, la solidarité entre les hommes et puis cette manière de peindre le réel par accumulation de détails quotidiens qui correspond si parfaitement au scénario de ce film. Quel est-il justement ? Fin du 18° siècle, un couple de pionniers quitte la ville pour rejoindre une communauté qui est en train de défricher un terrain indien pour construire une nouvelle ville. Cette communauté se trouve au coeur d'une confrontation multiple, son travail agraire, défrichage de forêts, semailles, récoltes, la lutte pour la prise de territoire aux indiens et la lutte pour le pouvoir contre les royalistes anglais qui visent les mêmes terres et manipulent les indiens en les montant contre la communauté.

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Et je vais tout de suite commencer par les défauts du film. Tout d'abord le personnage joué par Claudette Colbert, jeune fille issue de la haute bourgeoisie qui se retrouve confrontée à la dure réalité des pionniers et passe son temps à pleurer et piquer des crises de nerf. C'est un peu répétitif et outrancier et fini par lasser. Ensuite, le scénario présente une succession de scène de la vie de ces pionniers et il manque un peu de liant entre elles parfois. Encore plus génant, certaines idées développées dans une scène ne sont pas exploitées ensuite. Ainsi, un début d'affrontement est montré entre C. Colbert et une autre femme, la plus jolie, de la communauté, mais son personnage disparait alors que l'on reste dans l'attente d'un développement de cette histoire dans l'histoire.

Mais je reviens bien vite vers les qualités du film. Tout d'abord, ce qui saute aux yeux et sidère quand on sait que c'est le premier film en couleur de Ford, c'est la qualité des images. L'utilisation sans faute de goût de cette nouvelle technologie d'alors. Le film est splendide à voir. C'est à mon sens réellement la marque d'un immense talent, d'un goût très sûr et d'une capacité à fédérer les compétences autour de lui que d'arriver à viser aussi juste du premier coup. Chapeau. Ensuite, on retrouve le talent narratif de Ford dès les premières séquences. Ford montre et nous fait vivre intensément les sensations provoquées par le déracinement que vivent les pionniers lorsqu'ils vons explorer de nouveaux territoires. Il faut voir comment le personnage de Lana joué par C. Colbert est en quelques scènes transporté de sa maison bourgeoise à une cabane de bois à plusieurs centaines de kilomètres plus loin et comment en très peu de plans, à partir d'actions banales (Lana chasse des mouches !), il nous fait progressivement ressentir comment cette femme joyeuse, aimée, va piquer uen crise de nerf en étant déracinée de son milieu. Splendide d'efficacité et de tension dramatique. Les ellipses ensuite ! Plusieurs, trois au moins, batailles contre les indiens et les anglais sont narrées durant le film. La seconde bataille, la plus sanglante, n'est pas montrée ! Ford montre simplement une colonne de pionniers allant au combat, puis les mêmes revenants après la bataille. Les blessés sont nombreux. Les morts aussi. Henry Fonda ne fait pas partie des survivants. Claudette Colbert ne peut se résoudre à sa mort et part à sa recherche dans la nuit, éclairée par une simple lampe à bougie. C'est poignant. Elle le retrouve blessé dans un fossé. On est soulagé. Revenu sur son lit de convalescence, Henry Fonda raconte la bataille. On y est, on a tout vu ! Et surtout on s'est incroyablement identifié aux personnages en ressentant leurs émotions.

C'est aussi ça Ford !
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Message par syber » 09 Juin 2018, 10:05

La Grande Frousse (1964) de Jean-Pierre Mocky

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Et là, je m'aperçoit que je sèche complètement et que je ne sais pas pas comment débuter mon topo ... Une nouvelle fois, je réalise qu'il est bien difficile de résumer un Mocky. Mocky n'est avant tout un style et c'est de ce style qu'il faudrait parler.

Bref.

Imaginez les années 50. Un Bourvil campant un inspecteur de la police parisienne, croisement avant l'heure entre Columbo et Pierrot de la Lune. A la fois perspicace et efficace dans sa mission, mais s'excusant auprès des bandits de les avoir perturbé dans leur office, voire tombant amoureux d'une criminelle qui a un si joli regard.

Imaginez une ville de province ayant conservé un aspect médiéval, filmée quasi exclusivement de nuit par un chef opérateur inspiré par les possibilités du NB. Imaginez des dialogues de Raymond Queneau d'après un livre de Jean Ray dont la principale qualité est d'être Belge avec la folie douce qui va avec. Imaginez une ribambelle de comédiens tous plus excellents les uns que les autres pour accompagner Bourvil, Francis Blanche, Jean Poiret, Jean-Louis Barrault, Jacques Dufilho ... Imaginez des personnages haut en couleur, un Maire trop souriant pour être honnête, sa secrétaire trop ingénue et serviable, un pharmacien au deuil étrange, un médecin alccolique qui cache je ne sais quoi ... Et puis une Bête !

... et tout ce petit monde habitant cette cité provinciale, dans une atmosphère irréelle, presque fantastique, extrêmement poétique, absurde et drôle, va gentiment développer sa paranoïa personnelle en se demandant si cet inspecteur venu de Paris n'est pas venu pour mettre le nez dans ses propres affaires.

Difficile d'en dire mieux. Ce film est complètement décalé et ce que j'apprécie énormément.

Et en bonus et à titre d'illustration de la tonalité du film, voici son générique avec la musique - vraiment excellente car elle colle parfaitement au film - de Gérad Calvi qui n'est autre que le père d'Yves Calvi le journaliste.

https://www.youtube.com/watch?v=0PSqQbaYJgc
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Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par syber » 09 Juin 2018, 10:17

L'Ange Rouge (1966), film japonais de Yasuzo Masumura

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Scénario : 1939. La guerre fait rage sur le front de Mandchourie entre le Japon et la Chine. Sakura Nishi, une jeune infirmière, découvre toute l’horreur de la guerre auprès du docteur Okabe dont elle tombe amoureuse. Elle décide alors de le suivre sur le pire des champs de bataille.

Par où commencer ? Film complexe !

Film complexe ? Pas si sûr, finalement. Il me semble en fait que ce film propose dans le cadre spécifiquement choisi d’une guerre, moment où la culture et l’humanité disparaissent au point de faire ressurgir les pulsions primitives des hommes, une analyse et une réflexion sur les pulsions de vie et de mort qui s’exprimeront en chacun de nous, quel que fut son tempérament. Cette guerre que le réalisateur prendra la précaution de situer en 1939 lors de l’occupation de la Chine par le Japon, afin que son public japonais n’y plaque pas de jugement de valeur trop négatif qui pourrait interférer avec la compréhension du véritable thème du film.

Compte tenu de l’ambition du thème, est-ce pour autant un film intellectuel ? En vérité, non ! D’un point de vue formel, l’écriture cinématographique est très simple avec de larges plans fixes en cinémascope, très graphiques comme souvent dans le cinéma japonais, faisant donc référence à un art populaire ancestral. Peu de travelling, peu de zoom, peu d’effets hormis quelques contre-plongées justifiées dans la plupart des cas pour masquer un membre coupé dans les scènes de chirurgie de guerre ; la contre-plongée servant de fait à pallier une impossibilité technique en terme d’effets spéciaux à l’époque de réalisation, mais finalement augmentant le pouvoir de suggestion du film chez le spectateur. De même, le montage et les dialogues sont d’une grande simplicité et limpidité. Comme quoi on peut aborder simplement un thème complexe si celui-ci est compris et maîtrisé.

L’histoire est celle d’une infirmière d’un hôpital militaire s’occupant d’estropiés, de mutilés qui reviennent du front pour leur convalescence. Convalescence qui durera plusieurs années sans qu’on le leur dise au départ, car il s’agit en fait de cacher leur existence aux populations civiles afin de ne pas les démoraliser ! Ambivalence, tel est le fil directeur de ce film. En permanence, on y cherche en vain qui personnifie le bien et le mal au cours d’une histoire qui se développe selon deux axes. Le premier est un inexorable rapprochement vers l’horreur ; l’héroïne passe ainsi de l’hôpital militaire où se trouvent les convalescents, pour ensuite être mutée à un hôpital de campagne où sont recueillis les blessés tombés au front (il faut voir les scènes de triage des blessés selon leurs pathologies, puis ensuite les scènes au bloc chirurgical … le bruit de la scie coupant les os à vif me fait encore frémir), et enfin se retrouve dans un poste médical avancé qui a été contaminé au choléra par les adversaires afin d’affaiblir ses forces avant d’être attaqué. Au fur et à mesure de cette progression vers l’horreur de la guerre, des rencontres sont faites et donnent lieu à chaque fois à une alternance entre les scènes où ils exercent leur profession, leur devoir, et des scènes d’intimité où les sentiments des personnages s’expriment un peu plus librement et où les conventions sociales entre hommes et femmes s’atténuent petit à petit. Au plus fort de l’horreur, au plus libre sera cette expression. C’est ainsi que peu de temps avant le dénouement, se déroule une scène d’intimité entre l’infirmière et le chirurgien qui est devenu son amant et qui éclaire soudainement tout le propos du film. Et si ce que l’on prenait tout du long du film pour une forme de sacrifice et de don de soi de la part de cette infirmière, n’était finalement que la manifestation d’une forme de plaisir qu’elle prend ?
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Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par syber » 09 Juin 2018, 10:20

Le cheval de turin (2011), de Béla Tarr

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L’antithèse des versions hollywoodiennes de la fin du monde. Ici, point de météorites lancées par on ne sait quelle main divine. Ici, pas de virus mutant né de la folie des hommes. Non, ici le propos est bien plus réaliste, bien plus tragiquement terre à terre. Les ressources naturelles s’épuisent. C’est inéluctable. C’est irrémédiable. Il n’y a plus rien à faire. Les moyens d’actions sont caducs. Les dernières tentatives d’action ne sont que de vaines gesticulations désespérées. Il est déjà trop tard et il n’y a plus d’autres alternatives que de disparaître.

Et pourtant, le cheval savait. Le cheval connecté à la terre et son environnement avait prévenu. Mais personne n’a vu, personne n’a compris. Personne n'a su l'écouter.

Une ferme isolée, construite au creux d'une cuvette géologique ; l'horizon est masqué et on ne sait ce qui se passe au-delà. Quelques traces d’herbes que l’on imagine sèches grâce à l’utilisation du noir et blanc et son accentuation des contrastes qui stimule l’imagination. Au loin dans le paysage, un arbre isolé domine une colline. Sans feuilles, ses branches tordues ressemblent à ce que seraient ses racines souterraines soudainement exposées à l'air libre, asphyxiées, hors de leur millieu nourricier. Le décor en vérité semble n'être devenu que minéral. Le corps de ferme possède deux bâtiments, une remise dans laquelle sont rangés les carrioles et autres instruments agraires est accolée à l’étable du cheval et à côté, la ferme proprement dite dans laquelle habitent un vieil homme dont le bras droit est paralysé et sa fille. Un troisième élément du décor vient composer un triangle symbolique, stable trépied qui sert de point d'ancrage au développement des sociétés, le puits qui fournit l’eau, qui fournit la vie à la ferme.

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Dieu a créé le monde en six jours et s’est reposé le septième. Les Hommes ont détruit le monde en six jours et ont disparus le septième. Tel pourrait être l’argument du film.

On assiste en de longs, austères et magnifiques plans séquence, à ce que l’on imagine être les six derniers jours de la vie de ce couple de paysans, père et fille, et leur prise de conscience progressive que leur fin est proche. Vie répétitive, vie âpre et dure, vie matériellement et spirituellement pauvre. Mais derrière cette apparente répétition des gestes quotidiens durant ces six derniers jours - habillement du père le matin, petit déjeuner, repas du midi constitué de deux pommes de terre, une pour la fille et une pour le père – se dissimule en vérité de subtiles et progressives variations dans leurs attitudes et leurs regards, qui font imperceptiblement changer les intentions jouées et engendrent chez le spectateur qui y sera sensible une charge émotionnelle bouleversante et un suspens qui pousse à entrer de plus en plus dans le film.

Mais le suspens sera sans espoir. La mécanique inexorable est dorénavant irréversible. C’est d’abord, le cheval qui devient rétif puis qui cesse de s’alimenter comme une tentative délibérée de se suicider face à la fin inéluctable qu'il pressent. C’est ensuite le voisin qui vient acheter une dernière bouteille d’alcool et qui lance au père sans qu’il la comprenne, une longue diatribe sur l’humanité. Le tragique arrive lorsque le puits s’assèche. Le père décide alors dans un vain dernier sursaut de quitter la ferme en emmenant sa fille et on voit là un des plans séquence les plus bouleversants du film où dans un mouvement ininterrompu on assiste aux préparatifs du départ de ceux-ci, consistant à regrouper dans une petite carriole le peu d’effets qu’ils possèdent, puis le père et la fille poussent péniblement cette carriole le long du chemin qui mène à l’horizon près de l’unique arbre desséché. La carriole disparait de l’autre côté de la colline. Pendant de longues secondes la caméra reste immobile et suspens aidant, l'incertitude, l'espoir gagne le spectateur. Le père et la fille s’en sont échappé, s’en sont sorti, ont repris en main leur existence, ont migré vers de meilleures contrées … et puis la carriole réapparait sur la ligne d'horizon et revient par le même chemin jusqu’à la ferme qui sera, on le comprend, le terminus de leur histoire. Qu’ont-ils vu, que n’ont-ils pas vu au-delà de cette colline ? On assiste au dernier repas du couple, personne n’arrive à manger, l’estomac trop serré ; ils ont compris. Le père dans un dernier sursaut vital tente de manger une pomme de terre qu'ils ne peuvent même plus cuire faute des ressources nécessaires. La fille est prostrée.

La lumière de la lampe à pétrole qui éclaire la scène du repas vacille, s’affaiblit.

Elle s’éteint.
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Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par syber » 09 Juin 2018, 10:33

[b]Le Criminel[/b] (1946), de Orson Welles

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Il s'agit de l'histoire de la traque et de la manière dont va être démasqué un criminel de guerre nazi réfugié au US. D'où le titre en français "Le Criminel". Traduction qui est finalement bien réductrice par rapport à la véritable thématique du film qui est le masque, le masque des apparences sociales, les masque des idées affichées et comment le masque fini toujours par se fissurer, se retourner. En ce sens, le titre original "The Stranger - L'Etranger" est bien plus explicite : comment on arrive à se composer un masque, une apparence, qui fini par nous faire paraître un étranger pour l'autre par rapport à ce que l'on est réellement. Camus venait de prendre le titre ... la confusion aurait été imparable.

Ainsi, le nazi se dissimule sous les traits d'un professeur de collège apprécié de ses pairs et de ses élèves. Son bras droit dans la mise au point de la solution finale est devenu bigot durant son incarcération. L'adjoint au Maire qui préside aux destinées de la petite cité où se déroule l'action est accroc aux jeux d'argent et a une curiosité irrépressible de visiter l'intimité des gens. Le chasseur de Nazi, bras armé de la justice américaine, est prêt à tout et surtout à la manipulation pour parvenir à ses fins. etc ...

Donc globalement un excellent petit film noir, bourré de qualités formelles à commencer par une photographie très belle qui joue elle aussi sur la thématique du film en associant les zones d'ombres et les zones de lumière, ainsi qu'une interprétation irréprochable de l'ensemble de la troupe avec un jeu presque théâtral de Orson Welles par moment (ses yeux écarquillés en permanence qui donnent l'impression qu'il est à la fois le moteur de l'action, tout en étant "ailleurs" : très réussi). Et puis quelques scènes choc, extrêmement créatives, rarement vue ailleurs. Citons-en deux pour vous mettre, je l'espère, l'eau à la bouche. Tout d'abord, le meurtre par Orson Welles de son ex-bras droit : il l'étrangle placidement alors que celui-ci est en train de prier devant lui ! C'est pas banal ! Et puis la fin du personnage joué par Orson Welles, poignardé par une des deux figures en fonte qui frappent les cloches de la pendule du clocher (ces figures doivent bien avoir un nom, mais lequel ?). Vous savez, ce sont des figures qui créent une animation toutes les heures. Dans le film, il s'agit de la justice armée de son glaive, qui poursuit une sorte de démon qui symbolise le mal.

Orson Welles fini embroché sur le glaive !

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Re: Que je vous raconte ce que j'ai vu dernièrement ...

Message par syber » 09 Juin 2018, 19:55

L'âge d'or (1930), de lui Bunuel

Le film date de 1930 et est intéressant à connaître pour des raisons principalement historiques à mon avis.

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Tout d'abord "L'âge d'or" fait partie des films qualifiés de "surréalistes". Catégorie qui finalement ne comporte que bien peu de films catalogués comme tels ; la plupart de ces films étant parus sur une période de 5 à 6 ans. C'est d'autant plus surprenant que sans trop vouloir manier le paradoxe, on peut finalement considérer que le cinéma est surréaliste par nature (par le fait du montage, de la distorsion temporelle et des effets spéciaux). Néanmoins, même si le mouvement surréaliste n'a pas trouvé dans le cinéma un mode d'expression pour ses idées, il a pourtant introduit des gênes, ce film le montre indubitablement, qui ont proliféré jusque dans les productions actuelles les plus grand public. A ce titre, je vous invite à regarder certains passages de ce film (disponible sur Youtube) en ayant à l'esprit ... les dessins animés de Tex Avery ; c'est particulièrement flagrant dans la quasi totalité des scènes qui se passent dans le château.

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L'autre point intéressant, c'est de considérer rétrospectivement le scandale qu'a suscité le film à sa sortie à l'aune de la situation dans laquelle nous vivons actuellement vis à vis de la religion catholique. Que l'on songe que l'affaire est indirectement remontée jusqu'au Pape, que le film a été conspué par le clergé et la noblesse, qu'une salle où le film était projeté fut vandalisée par des groupuscules d'extrême droite. Que le film fut interdit pendant 50 ans ! A voir le film de nos jours, on se demande bien pourquoi, tant nous sommes dorénavant dans une situation relativement appaisée par rapport au catholicisme. Mais 80 ans en arrière ...

Et 80 ans, ce n'est finalement pas bien long.


Nous aurons l'occasion de parler prochainement des films de Bunuel.
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